mars 19, 2021

UBISOFT PARIS : UNE CONDUITE DU CHANGEMENT

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En octobre dernier, pour la réalisation de son magazine papier, l’équipe de Stories a discuté avec Marie-Sophie de Waubert, Managing Director d’Ubisoft Paris. Voici cette interview, où nous parlons avec elle de la crise du Covid-19, des projets qui attendent le Studio, et des enjeux de diversités dans l’industrie.

[Retrouvez l’article original aux côtés de nombreux autres contenus sur Stories]

 

TU ES DEVENUE MANAGING DIRECTOR EN MARS 2020. QUELQUES JOURS APRÈS TA PRISE DE FONCTION, LA FRANCE DÉBUTAIT SON CONFINEMENT. COMMENT LE STUDIO D’UBISOFT PARIS A-T-IL TRAVERSÉ CE MOMENT ET CONTINUÉ DE TRAVAILLER ?

MARIE-SOPHIE Les premiers jours ont été assez fous ! Nous avons tout de suite mis en place une cellule de crise se réunissant quotidiennement, avec des représentants de l’IT, des RH, du Workplace, de la Finance, de la Communication et du Producing. La mobilisation de tout le monde, en local et au niveau Groupe, a été impressionnante. Outre la logistique, le fait de continuer à informer, à rassurer, et à fédérer les équipes entre elles et à la vie du Studio a été clé. Quand le Studio a rouvert mi-mai, la crise sanitaire est restée très complexe à piloter. Nous avons procédé par vagues de retours, en prenant en compte les besoins des projets ainsi que la situation individuelle des collaborateurs. Malgré tous ces obstacles et le deuxième confinement, nous avons réussi à livrer tout ce qui était attendu, les équipes ont déplacé des montagnes avec énormément d’engagement et de professionnalisme. À présent, nous avons hâte de tous nous retrouver plus régulièrement « en vrai » !

 

CETTE CRISE, QUI CONTINUE D’IMPACTER LOURDEMENT LE PAYS, VA-T-ELLE CHANGER LA FAÇON DE TRAVAILLER DANS UN STUDIO COMME CELUI D’UBISOFT PARIS ? SI OUI, DE QUELLE MANIÈRE ?

M.-S. Le confinement a permis d’entamer, dès le mois de mai dernier, des discussions structurelles sur notre façon de travailler à l’avenir. Nous avons lu beaucoup d’analyses sur le télétravail, organisé une centaine d’entretiens et une trentaine de workshops, métier par métier, pour faire un bilan complet du travail à distance par rapport à notre activité de création de jeu vidéo, et pour nous protéger des effets de mode. Par ailleurs, comme des travaux et un agrandissement de nos locaux sont prévus dans les mois qui viennent au Studio, il nous a semblé essentiel d’articuler les deux sujets et de réfléchir à la fois au télétravail et aux nouvelles installations qui feront la différence dans nos locaux pour booster la créativité et la qualité. Le confinement a prouvé qu’on pouvait matériellement travailler à distance et que le télétravail présentait de nombreux avantages mais qu’il ne fallait pas l’idéaliser et en faire la solution ultime sur le long terme. Déjà, nous ne sommes pas tous égaux sur le sujet, en fonction de notre habitation, de notre situation familiale, ou encore de notre sensibilité à l’hyper-connexion. Ce que je cherche à mettre en place, c’est un peu le meilleur des deux mondes, entre télétravail et présentiel. Le but est que nos locaux soient un véritable hub créatif où les développeurs puissent se retrouver et mettre en commun leurs talents (nous souhaitons multiplier par deux les espaces dédiés à la collaboration), puis qu’ils se redéploient en télétravail lorsque cela est plus efficace et plus épanouissant pour eux. Ubisoft Paris est un site pilote où l’on teste beaucoup de formules depuis plus de six mois et j’ai hâte de voir tout cela se concrétiser à plus grande échelle !

CELA FAIT VINGT ANS QUE TU ES CHEZ UBISOFT, TU AS TRAVAILLÉ AU SEIN DE DIFFÉRENTS CORPS DE MÉTIER. COMMENT AS-TU VU LE SECTEUR DU JEU VIDÉO ÉVOLUER AU FIL DES ANNÉES, ET QU’EST-CE QUI TE PASSIONNE DANS CETTE INDUSTRIE ?

M.-S. Je n’ai pas vu passer ces vingt années ! Ce qui me passionne c’est le fait que les jeux vidéo sont au carrefour entre innovation technologique et propos artistique fort. Depuis plus de trente ans, nous repoussons les limites de l’accessibilité et de l’immersion du joueur, « le ciel est la limite » dans notre métier, c’est un luxe que peu de domaines artistiques ont et cela rend passionnantes les interactions en interne et le travail d’équipe. Nous sommes aujourd’hui une industrie créative et culturelle connue et reconnue dans le monde entier. Avec les grands succès et les grands pouvoirs viennent les grandes responsabilités comme chacun sait. Notre secteur est une surface de projection pour beaucoup d’enjeux de société : la santé, l’éducation, la tolérance, le respect, la diversité. Avec deux milliards de joueurs dans le monde, chiffre en constante croissance, notre impact peut être énorme. Nous avons les moyens d’augmenter notre empreinte positive, à la fois dans le contenu de nos jeux et dans la façon de les produire, que ce soit dans la composition de nos équipes, le choix d’implantation de nos sites ou encore l’impact écologique de nos productions.

 

LES ENJEUX DE DIVERSITÉ AU SEIN DE L’INDUSTRIE SONT PLUS IMPORTANTS QUE JAMAIS. SELON TOI, DE QUELLES FAÇONS PEUT-ON FAVORISER ET ACCÉLÉRER CETTE DIVERSITÉ AU GLOBAL ?

M.-S. Diversité rime avec créativité, au moins tout le monde est à présent d’accord. La diversité de genre en France est souvent la seule qui puisse statistiquement se mesurer alors on se concentre dessus, et on a bien raison car il faut être volontariste et se fixer des objectifs. Nous aimerions par exemple atteindre au Studio 25 % de femmes en 2023 (nous sommes à 21 % aujourd’hui).

Il est important aussi de prendre en compte la diversité sociale, générationnelle, culturelle. Et comme pour les femmes, ce sujet prend racine bien en amont du marché du travail. Ce sont à tous les acteurs d’agir, depuis le plus jeune âge, pour lutter contre les biais de perception, et aider à une meilleure représentativité de la société dans notre industrie et au sein des formations qui y préparent. Je suis ravie à ce titre-là d’avoir contribué à l’implantation en France de l’association Fusion Jeunesse, en 2019. Le partenariat que nous avons avec l’association Loisirs numériques, via le financement d’une bourse pour soutenir et accompagner des étudiants n’ayant pas les moyens financiers d’accéder à une formation de qualité aux métiers du jeu vidéo, participe du même effort. C’est un mécénat à la fois financier et de compétences dont nous sommes très heureux. J’aimerais également mettre l’accent sur une autre diversité : celle de personnes qui ne viendraient pas de notre industrie. Nous avons parfois tendance à nous dire que notre industrie est « tellement complexe et unique qu’il faut quasiment être né dedans pour y être légitime ». Si la première partie de la phrase est vraie, la seconde ne l’est pas forcément. Ne nous privons pas d’un vivier de candidats très compétents venant de secteurs parfois plus matures que nous en termes de diversité, notamment sur des profils féminins.

UBISOFT PARIS A PAR AILLEURS LANCÉ L’ANNÉE DERNIÈRE UNE INITIATIVE À L’ATTENTION DES JEUNES FEMMES SOUHAITANT JUSTEMENT REJOINDRE L’INDUSTRIE : WOMXN DEVELOP AT UBISOFT. PEUX-TU PRÉSENTER CE PROJET ? QUEL BILAN FAIS-TU DE LA PREMIÈRE ÉDITION ET QU’ATTENDS-TU DE LA PROCHAINE ?

M.-S. Le projet WomXn Develop at Ubisoft est un programme de mentorat à destination de jeunes femmes qui souhaitent se lancer en programmation et en game design. Nous étions l’un des deux premiers studios à le lancer en 2019, et cela a abouti à 33 soumissions en game design et 37 en programmation. L’engouement a été très fort et l’idée a fait des petits puisque trois studios ont déjà relancé le projet (Toronto, San Francisco et Kiev) et huit sont intéressés pour cette année, dont Paris bien sûr. Nous avons également un partenariat avec l’association Women in Games au niveau d’Ubisoft en France. De notre côté, nous organisons par exemple avec elle des ateliers de coaching au cours desquels l’équipe recrutement s’implique à fond pour conseiller une vingtaine d’adhérentes sur leur CV, les entretiens d’embauche ou encore leurs portfolios. On peut aussi citer le lancement de workshops visant à mieux accompagner les femmes du Studio dans leur quotidien. Nous nous sommes, entre autres, appuyés sur leurs témoignages et leurs brainstormings pour créer la roadmap Diversité & Inclusion du Studio. D’autres initiatives ont été lancées et vont continuer à grandir tout au long de l’année.

QUELS SERONT LES GROS ENJEUX POUR LE STUDIO D’UBISOFT PARIS POUR CETTE ANNÉE 2021 ?

M.-S. Nous avons au Studio de Paris de très belles marques qui ont chacune à la fois un énorme potentiel et de forts challenges. Just Dance a fêté ses 10 ans l’année dernière, ce qui d’un point de vue sociologique est une éternité. Notre ambition pour les prochaines années est d’être la marque incontournable associée à toutes les motivations et les feelings universellement positifs procurés par la danse. Just Dance a énormément à dire en matière de fun, d’apprentissage, de compétition, de rencontres, et nous avons identifié avec précision comment continuer de plaire à une large audience. Les collaborations sur Skull and Bones (leadé par Singapour) et Beyond Good & Evil 2 (projet montpelliérain) nous apportent des enseignements précieux en termes de technologie, de design et de business models. Nous avons aussi d’autres marques sur lesquelles de belles choses se préparent !

D’un point de vue plus transversal, notre avenir passera notamment par le suivi d’une roadmap tech ambitieuse. La compétition est rude et il est essentiel de mettre la tech au cœur de notre stratégie projet et studio. Nous devons également continuer de nous développer en narration et en réalisation. Les joueurs attendent des histoires et des expériences qui ont de la profondeur et de la subtilité, sans complexité, et conformes à l’ADN de leur marque favorite. C’est un vrai défi créatif. Enfin, une de mes principales obsessions depuis que je suis arrivée est : « Comment faire émerger de nos équipes les pépites de demain ? ». À ce titre, nous avons lancé en novembre dernier un petit « incubateur » interne au Studio appelé Next Gem. Il y a énormément d’engouement pour ce programme qui a des bénéfices à court, à moyen et à long terme.

 

D’UN POINT DE VUE PLUS PERSONNEL, QU’ESPÈRES-TU DE CETTE NOUVELLE ANNÉE ?

M.-S. L’année 2021 s’annonce passionnante. Je nous souhaite la santé bien sûr, pour toutes et pour tous ! Beaucoup de bienveillance ensuite, pour soi-même déjà, et pour les autres. De mon côté, si le feu sacré m’anime avec toujours autant d’intensité qu’il y a 20 ans, j’ai l’impression d’avoir aussi plus de hauteur, de sagesse, et de pousser la qualité en tout. Ce sont les joies de la maturité il paraît ! J’espère bien sûr que notre marché poursuive sa croissance, avec des bases installées florissantes pour les consoles, et comme tout le monde je suis très curieuse de voir comment toutes ces opportunités, liées à l’arrivée sur notre marché de nouveaux gros acteurs du numérique, vont bousculer nos habitudes. Je souhaite à mes équipes de continuer à vivre de belles histoires d’amour avec nos joueurs, et que de nombreuses autres naissent grâce à notre passion pour ce métier. Pour tout le reste, et pour tous les challenges qui nous attendent, je crois en notre capacité à rebondir et à ne rien lâcher.

 

Ecrit par Vincent Manilève

 

Retrouvez l’article original ici.

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